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Kyshala

Je me nomme Kyshala. Je suis une Fyros.

Mon peuple s’était réfugié dans les profondeurs d’Atys à la suite de ce que l’on a appelé le Grand Essaim. Il s’agissait d’une invasion de kitins, de gros insectes géants, qui détruisaient tout sur leur passage. Les quatre peuples homins qui vivaient jusque là séparés, les Fyros, les Zoraïs, les Trykers et les Matis, ont du apprendre à vivre ensemble dans les terres anciennes.

Les années ont passé et petit à petit les premiers courageux ont rejoint la surface. Ils ont commencé à sécuriser certains territoires. Mais tout était à refaire et à reconstruire : les villes, les routes. Enfant, je regardais avec envie, les plus aventureux partir vers le nouveau monde. Tous savaient que même si les territoires étaient « sécurisés », le danger était toujours présent.

Devenue adulte, je me suis décidée à rejoindre moi aussi la surface. J’avais besoin de voir autre chose et de réaliser mon rêve d’enfance.

J’ai préparé mon sac. Puis, j’ai embrassé mes parents et ma petite cousine Shaakya. Je savais que je ne les reverrais pas avant longtemps et peut-être même jamais…

Je suis partie le coeur à la fois douloureux et en même temps empressée de découvrir ce nouveau monde qui m’avait tant fait rêvé.

Exode

Ca y était! Les grands de ce monde l’avaient décidé. L’hominité allait devoir fuir devant la menace de l’invasion de kitines que l’on appelait désormais le deuxième Grand Essaim. Les barrières installées par les Kamis et la Karavane ne suffiraient pas à endiguer le flot des créatures. Les kitines étaient déjà là aux portes de Pyr tentant de percer la défense. Tous les peuples avaient réussi à s’entendre. Seule la faction du clans des maraudeurs avait refusé de fuir préférant lutter contre l’invasion.

Tous les homins devaient se retrouver à Pyr, où le chemin de l’exode, nous mènerait à l’oasis secrète des Kamis. De là, un « arc-en-ciel » devrait nous transporter jusqu’aux anciennes terres. Pour le moment, il fallait participer à l’effort en aidant au rapatriement des mektoubs de ceux qui le souhaitaient vers Pyr.

Sylve avait trois mektoubs à rapatrier de Dyron vers Pyr. Nous allions l’escorter ainsi que tous ceux qui avait laissé leurs montures là bas. Finalement, moi aussi, j’allais un peu faire ma route de l’eau… Même si j’aurais préféré d’autres circonstances. La route s’est assez bien déroulée. J’ai juste été blessée par une goari alors que j’étais en queue de peloton. Heureusement, Eeri et Sylve m’ont vue en difficulté et sont revenues sur leurs pas en appelant les autres à l’aide. Ce petit incident m’a fait comprendre bien malgré moi que la position la plus sécurisée était au milieu de la troupe et non à ses extrémités.

Quelques jours plus tard, c’était l’heure du départ. Glorf nous a fait un discours :
« Légionnaires ! Ce soir nous ne connaîtrons pas la peur !
Légionnaires ! Ce soir nous ne connaîtrons pas la crainte !
Légionnaires ! Ce soir notre bras sera puissant !
Légionnaires ! Ce soir nous ne faillirons pas !
Légionnaires ! Ce soir nous connaîtrons l’espoir !
Légionnaires ! Ce soir nous nous battons pour tout ce que nous avons toujours défendu !
Légionnaires ! Ce soir nous nous battrons comme un seul homin face à ces insectes !
Légionnaires ! Ce soir nous montrerons à l’écorce la puissance du sharük !
Légionnaires ! Notre nom ne sera pas oublié !
Légionnaires ! Que la flamme des Légions brûle à tout jamais dans le désert et que nous ne soyons pas qu’un nom dans un manuel d’histoire
Force et Gloire Légionnaires ! »

Ce discours qui avait galvanisé les autres légionnaires m’a fait froid dans le dos. « Nous ne connaîtrons pas la peur »? j’étais terrifiée. « Notre bras sera puissant! » ? Je savais que j’étais la plus faible du groupe et que j’étais incapable de faire ne serait ce qu’une égratignure à une kitine… Il me restait l’espoir… l’espoir de voir cet arc-en-ciel et que tous mes amis soient là avec moi pour le prendre.

Je me suis laissée entraîner à l’entrée de Pyr. J’étais impressionnée par le si grand nombre d’homins présents… Moi qui détestait la foule j’étais servie. Je cherchais Morandy et Eeri du regard. Ils étaient là non loin de moi. Il fallait que je reste près d’eux coûte que coûte. Nous avons formé des équipes, j’étais dans celle de Morandy et Eeri dans celle de Glorf.

J’ai sorti Ganesh de son étable. Je me sentais perdue dans ce brouhaha incessant. Puis les premiers rangs ont commencé à se mettre en mouvement. J’ai suivi. Je n’avais de toutes façons pas le choix poussée par la foule derrière moi. J’essayais de rester au contact de Morandy et puis je l’ai perdu de vue. J’ai cherché Eeri du regard. Elle non plus n’était plus là. Le convois s’est soudain arrêté.

Puis j’ai entendu Glorf beugler de le rejoindre pour ne pas laisser l’empereur Fyros sans garde rapprochée. J’ai compris que la longue file des exilés avait été séparée en deux. J’étais devant avec la première tandis que Glorf et les autres étaient restés en arrière. Que devais je faire? Les rejoindre au risque de traverser une longue zone sans aucune protection ou rester à les attendre? Ne les voyant pas arriver, j’ai tenté le tout pour le tout en retournant en arrière. Au moins, si je devais mourir, je serais moins loin d’eux…

C’est au détour d’une dune que j’ai failli entrer en collision avec l’Empereur Fyros lui-même : Dexton. Les légionnaires l’entouraient. J’ai poussé un soupire de soulagement : ils étaient tous là. Nous avons rejoint le deuxième convois, le dépassant même pour aller en première ligne sous l’impulsion de l’Empereur. La première partie du voyage dans les dunes s’est déroulé sans vraiment de problème. Les pauvres bestioles qui tentaient de s’attaquer à la marée homine étaient laminées. Mais nous savions que le plus dur rester à venir : la traversée du couloir brûlé.

Nous les avons vu devant nous elles étaient là bloquant le passage vers l’oasis Kami, semblant nous attendre. Un énorme rassemblement de kitines menaçantes. Il n’y a pas eu de réflexion. A quoi bon? C’était le seul passage. Avec un courage désespéré, l’hominité a chargé droit devant, fonçant dans la masse compacte de dards, de pinces et de mandibules acérées. Cette fois, je suis restée au contact des autres légionnaires, leur lançant continuellement des dons de sèves ou de vies. Je faisais de mon mieux pour être leur soutient et non pas une charge. J’essayais de rester non loin de la paroi de la falaise, évitant ainsi de me faire surprendre par l’arrière. Et puis j’ai entendu l’annonce : l’Empereur Dexton était tombé. Il gisait mort. C’était la stupéfaction. Pourquoi n’arrivions nous plus à le ressusciter malgré tous nos essais?

C’est quand j’ai regardé autour de moi que j’ai compris… De l’immense foule du début, il ne restait plus que la moitié. Les corps homins gisaient tout autours de ceux qui étaient encore debout. La terre brûlée se gorgeant de leur sang. L’horrible vue des kitines dévorant les nôtres était insoutenable. Le bruit de leurs mandibules broyant leurs os m’a donné la nausée. Les résurrections n’étaient plus possibles, les kamis avaient été débordés par les si nombreuses morts en si peu de temps… Ils n’arrivaient plus à régénérer la graine de vie des homins.

Et puis Glorf est passé de la stupeur à la rage s’enfonçant dans les troupes ennemies, comme inconscient du danger. Lui qui avait été si proche de son Empereur ne pouvait supporter sa mort. Nous n’avions d’autres choix que de le suivre pour ne pas qu’il succombe lui aussi ouvrant ainsi un chemin aux travers des kitines.

Nous étions presque en vue de l’oasis quand une masse jaunâtre s’est précipitée sur moi. Un troupeau de shalahs sans doute paniqués avait foncé droit devant, piétinant tout sur leur passage, pour échapper aux combats que se livraient les homins et les kitines. Mes os se sont brisés sous leur masse. J’ai senti mon esprit s’échapper de mon corps… Je le voyais comme si mon esprit était suspendu au-dessus de lui. Est ce que j’allais mourir moi aussi comme l’Empereur Dexton et tous les autres? j’ai été envahie par la panique, attendant que quelqu’un m’offre un peu de sa vie…

Et puis Morandy est arrivé. Il m’a relevée. Je l’ai remercié par un sourire et j’ai regardé autour de moi. Je n’étais pas la seule à être tombée sous la charge des shalahs. Eeri se relevait elle aussi difficilement. Et puis, j’ai vu Ganesh… Il avait été piétiné, le mektoub de Eeri également. Nous les regardions toutes deux un peu abasourdies. Je me souviens qu’Eeri a demandé si il était possible de redonner vie à son mektoub. La réponse était négative. Je m’en voulais. Pourquoi l’avais je pris avec moi, alors que ce voyage était si dangereux. J’aurais du lui rendre sa liberté à Pyr… Au moins, il serait encore en vie.

Mais, il fallait continuer, le passage au travers des kitines se refermaient. Nous devions soutenir les combattants encore et encore. L’épuisement faisait ressentir ses effets. Je n’arrivais plus à suivre ne sachant plus à qui je devais offrir ma séve ou ma vie. Alors, je me suis concentrée sur les deux seules personnes que je ne voulais pas perdre : Eeri et Morandy.

Et puis, j’ai entendu Sylve crier « à l’oasis, à l’oasis!!! ». L’entrée était là à quelques pas. J’ai vu Eeri passer la barrière de pierres. J’ai souri un peu tristement, elle au moins était sauve. J’ai cherché Morandy. J’avais cru qu’il me suivait. Il n’était pas là… Je suis revenue sur mes pas en courant en l’appelant d’une voix angoissée : « Morandy! ». Il a crié lui aussi mon nom me permettant de le distinguer dans la masse des kitines qui l’entourait. Il était sur le point de défaillir. Mais il était loin, il a fallu que je m’approche au plus près des monstrueux insectes pour offrir de ma vie encore et encore…

J’entendais les cris d’appels à la retraite mais il était hors de question que je laisse Morandy. Quel sens aurait ma vie ensuite si je l’abandonnais au milieu des kitines? J’offrais ma vie et ma sève pour lui sans penser à autre chose que le sauver. Et puis, il est apparu réussissant à sortir de la masse. Je lui ai souri rassurée. Il m’a rendu mon sourire. Et puis son expression s’est soudain changée en peur et il a couru vers moi. De quoi avait il peur? Puis, j’ai compris qu’il regardait derrière moi. Je n’ai pas eu le temps de me retourner. Morandy m’avait poussée sur le côté mais j’ai senti le dard de la créature me transpercer le flanc, laissant une partie de son poison. Je suis tombée à genoux. Morandy avait lancé sa lance en avant prenant tous les risques transperçant lui aussi la kitine de part en part mais la bête avait déjà ressorti son dard de mon corps pour le lancer vers celui de son attaquant, l’enfonçant profondément dans son ventre avant de s’effondrer.

Morandy est tombé en arrière près de moi. Je me suis traînée près de lui. Tout n’était que brouillard, le poison envahissait mon sang. Mais, je voulais être à ses côtés. Est ce que quelqu’un était encore là pour nous sauver? Les kitines s’étaient détournées de nous poursuivant les derniers homins qui s’enfuyaient vers l’oasis. Je savais que Eeri était sauvée, Sylve également… Mais tous les autres? Où étaient Glorf, Dinomir, Rizel et Reen? Où était Lurtz qui était sorti de sa retraite pour combattre? Il n’y avait plus que nous ici, d’autres blessés qui gémissaient de douleur et tous ses morts. Je ne voulais pas entendre encore une fois l’horrible son que faisait les mandibules qui broyaient les os des homins, ni entendre les hurlements de ceux qui étaient dévorés vivants…

J’ai capté le regard de Morandy m’enfermant dans une bulle où il n’y avait plus que nous deux. Nous nous sommes pris la main matérialisant ainsi pour la première fois physiquement le lien qui nous unissait. Sa main était si douce et si chaude… Pourquoi n’avais je pas osé la prendre dans la mienne avant? Nous nous sommes souris. Nous savions tous les deux que nous allions mourir, le poison nous envahissait irrésistiblement. Sa blessure était bien plus profonde que la mienne… il allait mourir avant moi… Je serrais sa main, je ne voulais pas qu’il me laisse. Il semblait comprendre mon angoisse même si aucun mot n’avait été échangé. Il a embrassé ma main et m’a dit dans un murmure qu’il m’aimait. Je n’arrivais pas à répondre : ma gorge était bien trop nouée pour çà. Je n’ai réussi qu’à lui offrir un sourire retenant mes larmes de douleurs. Je ne voulais pas que la dernière image qu’il voit soit celle d’une homine en pleurs.

Ses yeux se sont fermés, sa main s’est faite flasque dans la mienne, mes larmes ont commencé à couler le long de mes joues. Je me suis allongée près de lui, me blottissant contre son cou. J’espère juste que je serais morte quand les kitines reviendront…

Libération du désert ardent

Depuis le deuxième grand essaim, les nids de kitines étaient toujours présents provoquant parfois des incidents malheureux lorsqu’on s’en approchait de trop près. il était grand temps de les refermer. Et c’est par le désert ardent que nous allions commencer.

Les légions fyros avait été réquisitionnées à Thesos et devaient se mettre sous les ordres de l’officier de l’armée impériale Ibritis Ibirus. Tous ceux qui le désiraient pouvaient se mettre à son service. D’autres groupes étaient également présents à Pyr et à Dyron et avaient le même objectif : détruire tous les nids de kitines.

Pour l’occasion et sur les conseils d’Eeri, je m’étais achetée une nouvelle armure légère. Pour les magiciens, c’est ce type d’armure qui était recommandé. Une moyenne ou une lourde étaient gênantes pour lancer des sorts et je voulais être la plus efficace possible pour la bataille qui allait avoir lieu. Au marché, je n’en avais trouvé aucune correspondant à la fois à mon niveau de magie et de la couleur rouge de la légion. Au final, j’avais opté pour un mélange de couleurs blanche et bleue.

Forcément quand les légions fyros se sont rassemblées toutes de rouges vêtues, je ressortais un peu du lot avec Bjorka qui n’avait pas non plus d’armure au couleur de la légion. Sylve a râlé déclarant que nous aurions pu réclamer notre armure rouge et qu’on nous l’aurait fabriquée : la légion subvenant au besoin de base de ces légionnaires. Mais à vrai dire, je n’aimais pas demander me sentant par la suite redevable. Il faut dire que même pendant les longs mois que j’avais passés en tant qu’enfant des rues, je n’avais jamais usé de la mendicité comme le faisait certains. Sans doute, qu’un jour la faim et le désespoir m’auraient poussée, moi aussi, à le faire si Eeri ne m’avait pas retrouvée…

Une seule fois, j’avais demandé une parure de bijoux magiques à Icus, presque forcée par Ywan. Mais j’avais tellement mal formulé ma demande que j’avais fini par avoir une parure que ma force magique n’était pas capable de supporter. Je n’ai jamais osé en parler Icus, mortifiée à l’idée de l’avoir fait travailler pour rien. Enfin pas pour rien, un jour je pourrais la porter sa parure. En attendant, j’utilisais une vieille parure usée et plus du tout adaptée à mes progrès en magie que Ywan avait pris pour moi dans le hall de guilde, il y a bien longtemps.

Nous étions près à partir. L’angoisse me nouait la gorge. Je savais que Kyshala avait vécu plusieurs batailles contre les kitines et qu’elle avait disparu durant la dernière. Est ce que moi aussi, j’allais disparaître? Est ce que mon corps allait être emporté par les kitines au fond de leur trou? Je me souvenais de la description horrible qu’elle avait faite des kitines dévorant des homins… Est ce que j’allais être dévorée moi aussi?

Alors que ces idées noires me trottaient dans la tête, notre armée s’est mise en route au pas de course. Il fallait boucher les nids le plus rapidement possible afin d’éviter qu’elles s’organisent. Nous sommes arrivés au premier nid. D’habitude je les regardais de loin mais là nous allions les combattre. il y a eu un bref moment d’observation mutuelle puis une clameur : les guerriers homins s’enfonçaient dans les rangs des kitines.

Ils ont été balayés. J’ai vu la marée de kitines s’avancer vers moi. La terreur m’a tétanisée. Je regardais les insectes sans réagir, les homins tombaient autour de moi. Et soudain, je me suis enfuie dans un dernier instinct de survie. Je courrais droit devant. D’autres soigneurs s’enfuyaient aussi tout comme moi, certains étaient pris à revers par des attaques de varynx qui profitaient de cette occasion. Et là… enfin… l’eau protectrice…

J’ai repris mes esprits et j’ai eu honte… honte d’avoir laissé mes frère d’armes sur place, sans soin. Est ce que c’était ce qui était arrivé à Kyshala? La rage m’a prise j’ai couru en sens inverse. Il fallait que je les sauve. Je lançais des soins à droite et gauche. Les soigneurs revenaient relevant les homins qui repartaient à la charge. A plusieurs reprises, je suis tombée : je ne fuyais plus. Je demandais une résurrection aux kamis, retournant en courant vers mes compagnons. Il a fallu plusieurs charges pour venir à bout de ce premier nid. Mais enfin, toutes les kitines ont été éliminées et le trou rebouché.

Puis nous avons continué, nous organisant un peu mieux à chaque nouveau nid. Pourtant à l’avant dernier nid, la bataille a failli tourner à notre désavantage : les kitines décimant les premiers rangs que les soigneurs ne pouvaient plus soigner attaqués par des varynx en arrière garde. Je suis tombée comme beaucoup d’autres. Un vortex n’était pas loin : j’ai demandé une résurrection et je suis repartie. Mais, une attaque de varynx m’a, à nouveau, fauchée. Je savais que la dette de vie que j’aurais à rembourser aux kamis serait énorme mais après tout j’étais une soigneuse et je me devais d’aller relever les autres quel qu’en soit le prix. Plusieurs fois ainsi, j’ai essayé de rejoindre les combattants mais je ne passais pas le barrage des carnivores. Alors, j’ai attendu que d’autres me rejoignent au vortex. Nous nous sommes organisés vaguement, nous soignant le mieux possible et nous sommes repartis en groupe cette fois. Zaydan était là en tant que tank, il m’a ouvert un passage. J’étais stupéfaite par le nombre d’homins à terre. J’ai soigné encore et encore. Finalement, ce nid a été refermé. Je me souviens des fanfaronnades de quelques légionnaires qui se vantaient de n’avoir rien eu à devoir aux kamis à la suite de cette bataille, j’ai répondu assez vertement ce jour là : savaient ils à quel point certains s’étaient dévoués accumulant une dette énorme de sève de vie aux kamis pour qu’eux ne doivent rien à personne? Je ne suis pas sûre que ma remarque ait été très appréciée.

Puis le dernier nid a été lui aussi rebouché. Icus a voulu faire quelques luciogrammes de groupe devant le dernier nid pour ne pas qu’on oublie ce que nous avions fait. Puis, nous nous sommes tous rendus à la taverne de Pyr pour fêter çà.

Je dois dire que je n’avais pas très envie de faire la fête. Toutes ses images sombres de Kyshala et de sa dernière bataille me trottaient dans la tête. Mais j’ai quand même pris un verre. J’ai remarqué les regards de plusieurs légionnaires sur les fesses très dénudées d’Eeri dans son armure légère zoraï. Quand je lui ai fait remarquer qu’elle avait beaucoup de succès. Elle a répondu d’un ton maussade qu’elle s’en passerait bien. Pourquoi? Ne voulait elle pas quelqu’un dans sa vie? Mais, en posant cette question, je me rendais compte que je ne l’avais jamais vu avec qui que ce soit… Elle me disait qu’elle ne voulait rendre de compte à personne et être libre de toutes attaches. Avait elle peur de souffrir? Mais ce n’était pas çà : elle avait plutôt peur de faire souffrir. J’ai répliqué avec un petit sourire qu’elle était pourtant attachée à « sa petite Shaa ». Mais, pour elle, ce n’était pas pareil… J’ai voulu savoir pourquoi ce n’était pas pareil. Mais comme à chaque fois que je cherchais à entrer un peu plus dans son intimité, elle détournait la conversation.

Elle m’a parlé de Glorf qu’elle était allée voir avec Icus, le chef des légions fyros quand Kyshala était encore là. Tout le monde le croyait disparu et pourtant Icus et elle l’avait retrouvé. J’ai pensé alors qu’il y avait encore l’espoir de retrouver Kyshala. Mais Eeri me disait qu’elle la pensait morte. J’ai encaissé le coup. Elle a poursuivi sur sa rencontre avec Glorf. Celui-ci n’était plus lui même. Il avait décidé de vivre parmi les Fraiders, ses étranges guerriers frahars. Il disait s’appeler désormais Glorrrf. Il avait absorbé une drogue durant son rite d’initiation et avait désormais le langage primitif des frahars : « Glorrf frraiderrr maintenant. Frrrrraiderrr!!! ». Je ne comprenais pas comment on pouvait choisir de devenir un être primitif… Mais Eeri m’expliquait qu’il avait choisi de tout oublier, ne se remettant pas de la mort de son empereur Dexton et de celui de ces camarades. Elle a ajouté que c’était comme çà et qu’il fallait l’accepter et vivre avec. J’ai compris enfin, où elle voulait en venir : Je devais vivre désormais avec l’absence de Kyshala…

Pendant toute cette conversation avec Eeri, je n’avais absolument pas suivi les autres conversations autour de moi. J’ai été au bar commander plusieurs bières de shooki… J’avais du mal à accepter. J’ai avalé plusieurs verres d’affilé, recherchant l’oubli dans l’alcool. J’ai commencé à m’écrouler. Je crois que je me suis endormie un bref instant le front sur le comptoir. Puis soudain, deux claques m’ont sortie du sommeil brutalement. Eeri m’avait réveillée à sa manière douce. J’ai beuglé : « çà va pôô nononono!!! ». J’étais prête à en découdre avec elle et lui rendre les baffes qu’elle m’avait donnée. Et elle m’a criée : « En slibard et sans parure, allez!!! ». J’ai obéi pressée d’en découdre avec elle. Et soudain, j’ai pris le poing de Gunbra en plein figure. Mais qu’est ce qu’elle me voulait elle? Je lui ai sauté dessus commençant à taper comme une sourde. Eeri souriait en sirotant son verre, pendant que Gunbra me susurrait d’un air agressif : « Je vais te répandre le rouge de tes yeux sur tout ton corps ». Eeri m’encourageait : « héééé tu te débrouilles bien!!!! Allez tape ça défoule!! ». Je continuais à taper encore et encore, extériorisant toute ma rage. Puis, Gunbra s’est écroulée me faisant sortir de l’état second dans lequel j’étais. Et j’ai compris : j’avais été enrôlée malgré moi dans un concours de combat à mains nues.

Les combats ont continué. Eeri devait se battre contre Archlongine mais elle a perdu contre la grande zoraï à la si grande allonge. Puis, c’est moi qui ai du la combattre. Moi aussi, j’ai perdue. L’alcool, les coups reçus et données ont eu raison de moi. Je ne comprenais plus rien. Je ne voyais plus qu’une masse informe de légionnaires se battant entre eux dans une mêlée générale… Je me suis endormie à même le sol dans la taverne…

Le secret

Le lendemain de cette soirée chargée en émotion, après nous être enlacées tendrement, nous sommes reparties chacune de notre côté pour nos activités journalières. Le soir, je lui ai envoyé une message par Izam :
« Ma chère tendre fyros,
Si tu n’as rien d’autres à faire, je voudrais te montrer un endroit qui me tiens à coeur. Rendez vous devant l’étable de Fairhaven dés que tu peux.
Shaakya. »

J’ai commencé à faire un peu d’artisanat en l’attendant, espérant qu’elle pourrait venir. J’ai salué Krill que j’avais vu lors de la réunion de la N’ASA. Elle était en pleine discussion avec un autre tryker : Bekyr.

Anyume est arrivée, nous nous sommes serrées dans les bras l’une de l’autre en souriant heureuses de nous retrouver. Bekyr nous regardait avec un oeil méfiant. Krill a donc fait les présentations, expliquant que nous nous étions rencontrées à la réunion de la N’ASA. J’ai profité de l’occasion pour indiquer comme Icus me l’avait demandé qu’il n’avait pas pu participer à la première réunion et qu’il souhaitait prendre part à la prochaine. Krill a ri : « Il aurait été déçu. Il n’y avait pas de shooki! ». Et Anyume a sur-renchérit : « Et on n’a pas le droit d’y taper les matis ! ». Nous nous sommes mises à éclater de rire toutes les trois pendant que Bekyr nous regardait avec un oeil rond sans comprendre. Krill lui a alors expliqué : « Icus est un Fyros qui n’aime qu’une seule chose davantage que boire de la shooki, c’est faire des misères aux Matis! C’est le chef des Légions Fyros. ». Anyume a ajouté : « Un pur exemple de Légionnaire quoi ! Enfin… Parfois, il réserve des surprises. Parfois, j’ai l’impression qu’il ne fait le fyros brutal et grognon juste parce que son poste le demande… ». J’ai acquiescé d’un air songeur.

Krill a ensuite expliqué sa vision de la N’ASA : une façon de « mettre des idées en commun et de partager au-delà des nations et des religions ». D’ailleurs, elle se demandait si il n’y avait pas eu des Trytonistes au sein de l’ASA qui avait contribué à la création des arc-en-ciel qui ont permis à l’hominité de s’échapper vers les anciennes terres. Anyume a demandé : « Des trytonnistes ? J’en ai un peu entendu parler… Des sortes d’espions qui veulent détruire les religions, c’est ça ? ». Krill a précisé que les trytonnistes étaient les partisans d’Elias Tryton. Je repensais à Elia et Elias : Est ce que leurs parents, les avaient appelé ainsi parce qu’ils étaient trytonnistes? Ils ont continué à discuter de la religion et de la liberté des homins vis à vis des puissances et des religions.

Anyume a fini par dire : « Il suffit de se passer des religions, nani ? Ces résurrections, c’est très surfait. ». J’ai pouffé et j’ai vu les yeux rieurs de Krill qui se retenait de rire. Bekyr a déclaré amèrement : « On l’a vu pendant le Grand Essaim, en quelque sorte. ». Anyume a repris légèrement agacée : « Je ne plaisante pas ! Les homins ne prennent pas la mort assez au sérieux ! ». Puis pour Bekyr : « de quoi tu parles ? ». Krill réfléchissait : « Sul n’as pas tort, Bekyr. Eny, il paraît que les Maraudeurs ont leur propre technologie, et ça n’a pas eu l’air plus utile pendant l’Essaim ». Bekyr paraissait surpris : « C’est vrai ? Je veux dire, ils ont survécu, an ? ». Anyume a répondu : « Les maraudeurs n’ont pas fuit, aussi… Et la plupart des clans ont survécu au grand essaim. Durant l’essaim, la plupart des résurrections foiraient. Trop de téléporteurs détruits, je pense. ». Je me suis crispée. J’imaginais que peut-être la disparition de Kyshala était du à une de ses résurrections avortées. J’ai serré les poings.

Krill a finalement proposé : « Dites…. Ça vous dirait d’aller papoter au bar. Le palefrenier ne sert que de l’eau. Et encore : il faut être un toub pour y avoir droit! ». J’ai hésité à les suivre. J’avais fait venir Anyume pour être seule avec elle, je voulais lui parler en privé. Mais nous étions embarquées dans une soirée avec des trykers que je connaissais à peine à parler politique et religion. Mais Anyume a approuvé Krill : « Tu as raison, on sera mieux loin des toubs ! ». Je l’ai suivi. Krill a commandé : « Ba’ ! Une bière pour moi, et une tournée de ce qu’ils veulent pour mes amis, pacty ! ». Tout le monde a pris une bière de shooki sauf Anyume qui est restée avec son habituel « saklarczzëdrin ». Elle avait l’air contente d’être ici alors je n’ai pas insisté pour l’entraîner avec moi ailleurs, je lui ai murmuré à l’oreille que je lui montrerai une autre fois ce que je voulais lui faire voir. Elle m’a répondu par un sourire.

Ils parlaient de l’oasis secret des kamis, le lieu où s’était réfugié les homins pendant l’exode. Je ne pouvais m’empêcher de penser à Kyshala qui avait disparu tout près de cette porte. Je me suis mise à trembler légèrement : « J’aimerais aller au moins aux portes un jour… ». Krill m’a regardée : « A l’occasion, si tu veux, on ira ensemble. Eny, de jour. Y’a quand même des grosses bêtes dans le coin. ». J’ai essayé d’expliquer pourquoi je voulais m’y rendre : « Je veux juste voir… où ma cousine… est m.. a disparue… ». J’avais failli dire « morte » mais je refusais de l’envisager. Pourtant, un jour, il faudra bien que je me rende à l’évidence… Krill semblait réfléchir en m’observant : « Il faudrait demander à ceux qui sont restés. Comme dit Anyume, les Larmes, en particulier. ». Apparemment, il n’y avait pas que les maraudeurs qui n’avaient pas fui, certains membres de la guilde des Larmes et d’autres homins sans doute étaient restés sur place.

Anyume a posé sa main sur mon poing serré pour me réconforter. J’ai ouvert mon poing pour serrer sa main dans la mienne. Elle m’apaisait comme toujours. Pendant cette discussion, les trykers enfilaient les choppes à la suite des unes des autres. Mais moi, j’avais à peine siroté ma bière. Si Eeri m’avait vue, elle se serait sans doute inquiétée et m’aurait demandée si j’étais malade. J’aurai sans doute bu autant que les trykers si Anyume n’avait pas été là. L’alcool avait été très souvent pour moi un moyen à peu de frais pour m’engourdir l’esprit et oublier mes douleurs. Mais, ma « soeur de coeur » me rendait plus forte par sa simple présence.

Je suis sortie de mes cogitations pour écouter à nouveau la conversation. Bekyr râlait contre le manque d’organisation auquel avait du faire face les homins : « Un sacré … Gachis ! ». Anyume semblait rêveuse : « Pourtant, ça doit être possible d’organiser les homins pour faire face à ce genre de crise… Il y a suffisamment de guerriers sur l’écorce, et personne n’aime se faire mettre dehors… Je me demande si on pourrait les unir pour… ». Krill était dubitative : « Ça serait bien, hein ? Eny…. Tu te souviens de ce qu’on a dit sur Icus tout à l’heure ? Al il n’est pas le seul à ne pas apprécier quelqu’un juste parce qu’il n’est pas de la bonne race. Quand y ai commencé à livrer des paquets pour Rybambel, les gardiens d’immeubles d’Yrkanis me regardaient de haut. Pour eux, y n’avais rien à faire à la grande porte : une Trykette, c’est forcément une servante, et ça passe par l’escalier de service. Ils n’étaient pas méchants, hein. C’est juste qu’ils ne leur venaient pas à l’idée que y puisse être d’abord une homine. Comme eux. ». Bekyr a eu alors des mots assez justes : « En fait … Soit chacun se dit qu’il y a une hominité … Mais dans ce cas là, il ne faut plus défendre les Nations. Soit chacun reconnait que les Sèves sont différentes … Et peut-être que c’est plus simple pour tout le monde si chacun s’occupe avant tout de ses problèmes. ».

Anyume continuait de réfléchir à voix haute : « Et si chacun voyait qu’on peut être différents, mais uni contre les menaces ? Que les matis et les fyros se tapent entre eux si ça les amusent, mais quand un kincher passe dans le coin, qu’ils unissent leurs forces contre lui ! ». J’ai souri. J’étais d’accord avec elle mais elle avait su bien mieux que moi, exprimer ce que je ressentais depuis toujours. Krill a commandé une nouvelle bière : « C’était l’idée du traité des quatre nations, si y ai bien compris. Y espère qu’il sera remis à l’honneur! ». Mais Anyume ne l’écoutait plus plongée dans ses réflexions, soudain elle a eu comme une illumination : « Je vais mettre en place l’Armée de Défense Atysienne ! Tous les homins entraînés à combattre ensemble en cas de souci ! Enfin, tous les homins capables de tenir une arme, hein… Mosï, des personnes valides, c’est ça que je veux dire. Armer les enfants, ça risque de poser souci à certains et traîner les vieillards en fauteuil sur le champ de bataille ça me parait dangereux ! ». J’ai ri. Krill a grogné : « Y n’ai aucune envie de faire partie d’une armée ! ». Bekyr était songeur : « Comment on peut se protéger pour de vrai … définitivement? ». Krill lui a alors indiqué : « Rejoins la N’ASA. Ca fait partie des axes de recherche ». Je les regardais sans rien dire mais l’idée d’Anyume de créer une armée me semblait bien plus correspondre à mon tempérament parfois fougueux et mon besoin d’action que d’être une scientifique plongée dans des cubes d’ambre.

La conversation a dérivé sur la tribu Talodi quand son chef Kaaon est arrivé au bar, puis sur la comparaison des alcools des fyros et des trykers. Je voyais que cette conversation sur les alcools n’intéressaient pas Anyume. Je l’ai même vu piquer du nez. Je lui ai alors proposé d’aller dormir. Elle a accepté semblant soulagée que je lui propose. Nous avons salué les trykers et nous sommes sorties de Fairhaven. C’est alors que nous avons croisé un membre de la sève noire qui se rendait directement au bar où nous étions quelques instants auparavant. Anyume m’a tirée par le bras : « Viens Shaakya… Ce ne sont pas nos histoires! Tu veux qu’on prenne le temps de voir le lieu dont tu me parlais avant de dormir ? ». J’étais heureuse, j’allais enfin pouvoir lui montrer. Ce n’était pas très loin mais il fallait nager. Elle m’a suivi avec un sourire aux lèvres. Elle ne semblait plus du tout fatiguée.

Nous avons posé le pied sur l’île : « C’est l’île de Kyshala. ». Anyume avait un drôle d’air : « Elle t’a montré des lucios d’ici ? ». A vrai dire, elle ne me les avait pas « montrés » mais je les avais vu dans son cube d’ambre et j’ai ajouté : « Je viens souvent ici. ». Elle semblait toujours aussi étrange et avait une voix bizarre. Je me suis inquiétée : « Ça ne va pas? ». Elle a fini par avouer d’un air très gêné : « J’ai amené Alric ici il y a quelques temps… je croyais que personne ne venait jamais.. J’ai souri en lui caressant la joue : « Tu as les mêmes goûts que moi et Kyshala alors. ». Elle semblait toujours aussi gênée alors j’ai essayé de la faire sourire en la taquinant : « Je suppose que tu n’es pas venue là avec Alric pour y cueillir des baies… ». Elle s’est mise à rougir. Ma petite plaisanterie ne l’avait pas fait rire, je l’ai prise contre moi en m’inquiétant un peu : « Des bons souvenirs au moins? ou non? ». Elle m’a rendue mon étreinte : « Et bien… Assez bon ». Je lui caressait tendrement le dos : « Mais pas tant que çà ? ». Elle a eu un petit sourire cynique : « Ho, avec lui… disons que c’est particulier. Ce n’est pas pour les bons souvenirs que je le garde. Mais je regrette vraiment de t’avoir mis en danger avec mes jeux. Et d’avoir fait remonter des vieux souvenirs… ». Elle m’a serrée fort contre elle. Mais pourquoi le gardait elle? Elle a répondu : « Je le garde pour… pour me souvenir d’où je viens, je crois. Pour ne pas perdre mon identité. ». J’ai soudain compris. Toutes ses allusions sur sa survie parmi les kitines, ses mots étranges qu’elle prononçait parfois : « Tu es… une maraudeuse… ».

Je l’ai senti se tendre mais elle a acquiescé : « Oi… Enfin, plus ou moins… J’ai passé les premières années de ma vie dans les Anciennes Terres. Dans un des camps de maraudeurs de là-bas. ». Sa respiration devenait saccadée, elle semblait craindre une réaction de rejet de ma part. J’ai caressé tendrement sa joue pour la rassurer. Elle a fermé les yeux souriant de soulagement sous ma caresse. Ça m’était égale d’où elle venait. J’ai pointé du doigt son coeur : « Ce qui est important c’est qu’il y a là. Et çà… C’est le plus beau coeur que j’ai vu depuis longtemps ». Elle a semblé touchée par mes paroles mais elle avait une étrange lueur de douleur dans le regard : « Qu’est ce qu’il y a? ». Elle a répondu en soupirant : « Shaakya… je ne suis pas quelqu’un de si bien que ça… Te fréquenter, et fréquenter Na Djaï’tal, me rend meilleure, mais… ». Je l’ai prise par la taille pour l’attirer tout contre moi : « Tu crois que je suis mieux? ». Elle m’a caressé doucement la joue : « Dëi, je pense que tu vaux mieux… et que tes démons sont aussi sombres que les miens ». Puis elle a rit tristement.

Je l’ai regardé : « Je voulais te dire ce que je n’ai pas pu te dire la dernière fois… C’est pour çà que je voulais t’emmener ici. ». Il pleuvait alors nous nous sommes mises à l’abri sous une racine. Nous nous sommes assises et elle a pris mes mains : « Je t’écoute… si tu veux vraiment en parler. ». J’ai eu un soupir tremblant : « Je suppose que je n’ai pas été très claire la dernière fois… ». Elle m’a caressé doucement les mains : « Ce n’est pas facile de… raconter ce genre de chose. ». Ça ne l’était pas non mais je voulais tout lui dire ce soir pour qu’elle me comprenne totalement mais je savais que mon histoire risquait d’être longue et j’avais peur qu’elle soit trop fatiguée pour l’entendre. Elle a répondu : « Je ne suis pas très fatiguée, en fait… J’avais surtout envie de te retrouver… ». J’ai souri touchée par cet aveu.

Je lui ai serré doucement les mains et j’ai commencé mon histoire : « A la mort… de ma famille… je me suis retrouvée à la rue… J’ai rejoint un groupe des adolescents comme moi… Il y avait Elia, Elias, Kyro et Noedjal. Nous nous soutenions… Elia et Elias étaient matis, Kyro un fyros et Noedjal un zoraï. Elia et Elias étaient frère et soeur. ». J’ai hésité à raconter la suite me sentant un peu honteuse mais il fallait qu’elle sache : « Enfin… Bref… il m’est arrivé… de voler… pour manger… mais nous étions tous unis… Il y avait un autre groupe avec qui nous nous chicanions parfois, des adolescents eux aussi… pour une histoire de territoire… Certaines rues nous étaient réservées et eux d’autres… Çà en restait à des injures et parfois quelques coups… mais c’était tout. ». Puis est venue la partie la plus difficile de mon histoire : « Un jour qu’on s’était éloigné dans les profondeurs avec Elia… Je ne sais plus vraiment comment çà s’est passé… ». Anyume me regardait avec compassion en me serrant les mains pour me donner du courage. J’ai continué : « Ils étaient là… ceux de l’autre groupe. Ils avaient un regard étrange… et cette odeur… la sève noire… ». Anyume était surprise : « Sur des gamins des rues ? ». J’ai alors précisé : « De ce que j’ai su après… ils avaient volés une caisse… qu’ils n’auraient jamais du voler. Ils nous ont encerclé… Et… ». Anyume m’a alors prise dans ses bras. J’ai serré les poings, il fallait que je réussisse à lui dire : « Ils n’étaient pas eux mêmes. Ils nous ont… violées… toutes les deux… plusieurs fois… ». Elle a fermé les yeux en me serrant encore plus contre elle.

J’essayais de ne pas en dire trop sur toutes les violences que nous avions subies : les liens, les humiliations, les coups, les tortures… Cette nuit d’horreur… Et comment, ils s’étaient acharnées sur Elia à cause de ses cris. Moi, avec mon instinct de survie, j’avais vite compris qu’il fallait que je me taise et que je ne leur montre aucune émotion, les cris ne faisant qu’exacerber leur violence. Elia avait subi toutes les perversités dont ils étaient capables. J’aurai pu crier pour qu’ils arrêtent de la martyriser et attirer leur attention mais… je ne voulais plus subir leur assauts. Je m’étais déjà évanouie plusieurs fois et je n’en pouvais plus… Je me suis enfermée dans une bulle en fermant les yeux… je ne voulais plus entendre ses cris… Le matin est arrivé…

Des larmes ont coulé le long de mes joues : « Et ils sont partis comme si tout çà n’avait pas d’importance… Le pire a été pour Elia… elle n’avait jamais… connu l’amour physique… Elle restait prostrée… J’ai essayé de la faire bouger… Mais elle avait le regard perdu… J’avais mal partout… Mais j’ai réussi à rejoindre les garçons… Ils ont ramené Elia… Ils hurlaient de colère… Ils ont pris des bâtons. Je leur ai crié de ne pas y aller… Mais ils sont partis… J’ai essayé de les suivre malgré mes blessures… Quand j’ai réussi à les rejoindre, ils se battaient violemment comme j’ai rarement vu. ». Anyume a compris : « Ce n’était plus les rues qui étaient en jeu… ». J’ai hoché la tête : « Les garçons étaient renforcés par la colère et les autres par la sève noire. Noedjal a été le premier à tomber… et puis… ». Je me suis remise à trembler. Anyume m’a caressée doucement le dos.

J’ai repris : « J’ai soudain vu des adultes arriver… que je n’avais jamais vu… ils avaient des armes… ils réclamaient leur caisse. Ils ont commencé à tuer ceux qui ont osé rire. Il y en a un qui a finalement montré l’endroit de la caisse… Je pensais… que ce serait tout… et qu’ils repartiraient… Ils ont tués tous les autres… les uns après les autres… et les garçons aussi… Ils ne m’ont pas vu… j’étais cachée… Ils sont repartis avec la caisse… ils sont passés très près de moi… et ils avaient aussi cette odeur… ». Anyume m’a bercée : « Et tu as pu survivre… ». Oui j’avais pu survivre mais pas Elia : « Quand je suis retournée la voir elle n’avait pas bougé. Elle avait toujours ce regard hagard… je ne savais pas quoi faire. J’ai fini par m’endormir… Le lendemain elle n’était plus là… Je l’ai cherchée… Je l’ai retrouvée dans un coin sombre. Il y avait une boulette de goo à côté d’elle… Elle était morte… ».

Je n’ai même pas réagi à sa mort comme si cela était inéluctable… Moi aussi, je devais avoir ce même regard hagard désormais. « Je suis restée plusieurs jours avec cette boulette de goo dans la poche… J’ai voulu… y goûter…mais Eeri m’a donné une gifle monumentale. ». Anyume s’est tendue : « Tu en as pris ? ». Non je n’en avais pas pris heureusement : « J’ai bien failli… Je crois qu’Eeri me cherchait… depuis longtemps. Elle connaissait Kyshala. Je suppose qu’elle se sentait responsable… Heureusement qu’elle est arrivé… Elle m’a sauvée à sa manière rude de légionnaire..

Je me suis redressée pour regarder Anyume. Il y avait des traces de larmes sur ses joues. J’ai passé doucement un doigt dessus. Elle s’est essuyée les joues en grommellant. J’ai souri. Et j’ai tenté d’expliquer : « Quand j’ai senti l’odeur de sève noire sur Alric… J’ai paniqué… tous ses souvenirs qui remontaient d’un coup. Maintenant… tu connais mon secret… et tu comprends pourquoi ils m’arrivent d’être mal à l’aise avec des homins… ». Elle a hoché la tête : « Ce qu’ils t’ont fait te reviens en mémoire… ». J’ai hoché la tête et puis j’ai eu un petit sourire : « Mais je ne suis pas mal à l’aise avec les homines! ». Je l’ai serrée tendrement contre moi en l’embrassant sur le front. Elle a déclaré alors : « Je ne suis pas la mieux placée pour te redonner confiance en les homins… Quand aux homines, je m’y connais encore moins ! ». J’ai ri et elle m’a donnée un baiser sur le bout du nez en souriant.

Nous étions épuisée. Nous nous sommes installées pour la nuit. Elle a sorti une couverture dont elle nous a recouverte toutes les deux. Je l’ai attirée contre moi en l’enveloppant de mes bras. Elle s’est blottie contre moi. Je l’ai caressée tendrement. Elle m’a souri. J’ai fermé les yeux en continuant mes caresses qu’elle semblait savourer. Je me suis endormie, je crois, avec un sourire aux lèvres comme libérer d’un terrible poids.

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