Je suis arrivé sur le continent, couvert de contusions et malade d’avoir à nouveau souffert du mal de mer. Une fois de plus, le voyage avait été des plus mouvementés.
J’ai quand même eu la force d’écrire un petit mot à Llariarith que j’ai remis au capitaine qui repartait dans les îlots dans quelques jours :
« Echk ma chère Llariarith,
Je vous donne quelques nouvelles comme vous me l’aviez demandé. Je suis bien arrivé sur le continent même si le voyage a été mouvementé comme toujours.
Je ne sais pas bien où je vais me rendre désormais. Je crois qu’il est hors de question que je rejoigne mon ancien peuple. Sans doute, vais je devenir un sombre solitaire comme il en existe beaucoup de part le monde.
Je ne sais ce que vous comptez faire de ce que je vous ai offert? Peut-être comptez vous en faire don à votre peuple ? Si c’est le cas, j’aimerai que vous gardiez tout de même une chose pour vous : l’essence vitale enrichie que j’ai réussi à confectionner quand j’étais dans votre dépôt entouré de Valfreyja et de vous. Puisse-t-elle vous apportez quelques joies quand vous vous souviendrez des trop rares moments que nous avons passés l’un près de l’autre.
Que vos démons vous protègent !
Deshmal Llariarith. »
Je suis ensuite parti droit devant moi sans vraiment d’objectif… A quoi bon? Je n’avais plus personne à qui me rattacher, nul part. Je marchais tout le temps, jusqu’à épuisement complet de mon corps. Je m’effondrait alors à terre, épuisé, me cachant à peine des éventuelles mauvaises rencontres : bandits ou créatures. J’ai eu de la chance, je crois…
Je suis arrivé dans une région étrange aux alentours de la ville de Kingshill entourée d’un marais peuplé de créatures agressives. C’est là que j’ai vu arriver un coursier. Il m’apportait une lettre de Llariarith. Je l’ai ouverte fébrile. Est ce qu’elle me demandait de revenir? Est ce que je lui manquais? Mon espoir a été déçu :
« MalJour Yloken, je suis ravie de voir que vous êtes arrivé indemne sur le continent, j’espère que cette missive vous parviendra et que vous trouverez votre place sur le Continent. Pour ce qui est de vos dons je comptais les partager avec Valfreyja. Ce sont des souvenirs que nous chérirons en mémoire de votre passage dans les Ilots.
Au plaisir de relire une missive.
Llaria. »
Ce message m’a fait mal. Il ne montrait aucun sentiment particulier à part une simple amitié banale. J’ai tout de même répondu :
« Echk Llariarith,
Je suis heureux que vous ayez décidé de partager mes dons avec Valfreyja. Elle avait refusé l’essence vitale enrichie que je vous ai demandé de garder. Elle avait prétexté avec raison que j’en aurais plus besoin qu’elle. Mais je n’ai jamais pu me résoudre à la vendre. Peut-être la voudra-t-elle?
Il y avait une autre essence enrichie dans mes dons : une volcanique. Je l’avais créée à vos côtés au marais de Morcraven. Celle-ci non plus je n’ai pas pu m’en séparer. Je me souviens encore de votre présence près de moi. Vous étiez plongée dans des parchemins et je n’ai pas osé vous déranger. Mais l’essence brillait dans mes mains et éclairait votre visage soucieux. Je suis resté subjugué devant votre beauté…
Je suis arrivé dans une étrange contrée. Je crois que je vais être obligé de devenir un guerrier… moi qui me suis toujours peu intéressé au combat. Étrangement, j’ai toujours préféré le corps d’une femelle contre moi que celui d’une créature des marais…
Que vos démons veillent sur vous et Valfreyja.
Yloken. »
Étrange comme il plus facile d’exprimer ses sentiments dans une lettre. J’espérais que ce début d’aveux du trouble qu’elle avait toujours provoqué chez moi, allait la faire réagir. Mais, il n’en a rien été. Elle n’a jamais répondu.
Au fil du temps, mon désespoir s’est transformé en rage. J’ai suivi les missions que des habitants de Kingshill me demandaient de réaliser. La plupart du temps, il fallait combattre des créatures. J’acceptais des missions de plus en plus dangereuses sans réfléchir aux conséquences. Je crois que je cherchais inconsciemment à me faire tuer, je n’avais plus envie de vivre.
Et puis, c’est arrivé. Presque comme une délivrance… Une espèce d’homme cerf m’a attaqué avec sa meute de loup. J’ai été gravement blessé par une de ses flèches. J’ai réussi à m’enfuir pour me cacher dans une petite grotte mais je perdais beaucoup trop de sang et la douleur m’empêchait de bouger désormais. Je n’avais pas beaucoup d’espoir. Je savais que les hommes-cerfs étaient aussi appelés des « rabatteurs rusés » : ils n’abandonnaient jamais la traque de leur proie.
Je savais que j’allais mourir. Je n’avais pas peur mais je voulais que Llariarith sache à quel point, elle avait été importante pour moi. Alors, je me suis mis à écrire cette lettre :
« Ma chère Llariarith,
Comme je vous l’avais écrit dans ma dernière lettre, je ne suis pas un combattant et je me suis fait surprendre par la flèche d’une créature étrange, mi-humaine mi-cerf qui dirige des espèces de loups extrêmement agressifs. J’ai réussi à m’enfuir et à me cacher mais je les entends roder autour de moi à ma recherche… Je ne peux de toutes façons plus me lever. Je vais mourir ici sur ces terres que je ne connais pas loin de mon clan, loin de vous.
Mais en ces derniers instants, mes pensées sont tournées vers vous et cela suffit à me réchauffer. Je n’ai pas peur. Si vos démons acceptent les sombres peut-être nous retrouverons nous dans cet au-delà.
Si je dois regretter une chose, c’est de ne pas avoir su vous montrer à quel point je vous aimais. Mais sans doute, que c’est parce que je ne le comprenais pas moi même, n’ayant jamais auparavant connu ce genre de sentiment. Je n’aurais pas du vous obéir comme je l’ai fait quand vous m’avez demandé de séduire Valfreyja. Mais je ne suis qu’un mâle sombre, on m’a appris à toujours obéir à une femelle…
J’aurais du vous dire la pensée qui m’avait traversée l’esprit ce jour là : c’est à vous que je voulais offrir ce verre et personne d’autres… J’aurais dû vous avouer aussi à quel point mon coeur se mettait à battre la chamade à chaque fois que vous apparaissiez, à quel point mes mains tremblaient, à quel point mes pensées s’embrouillaient et à quel point mes mots me semblaient vides de sens quand je tentais de vous parler sans savoir exprimer ce que je ressentais pour vous.
Je les entends… ils arrivent…
Je vous aime Llariarith. Je vous ai toujours aimé. ».
J’entendais les loups renifler non loin de là, ils allaient me trouver. J’ai refermé la lettre en indiquant l’adresse de Llariarith, j’ai laissé aussi de l’argent bien en évidence pour que si quelqu’un me trouvait, il fasse en sorte que la lettre rejoigne sa destinataire.
Les loups étaient là. Je ne voyais plus grand chose, j’étais en train de m’évanouir n’essayant même pas de lutter contre le froid engourdissant de la mort. Puis, j’ai senti l’esprit de l’homme-cerf dans ma tête. Il investiguait la moindre de mes pensées avec violence. Je ne pouvais pas lutter. Alors, il a vu mon dernier désir : revoir Llariarith une dernière fois. Je crois qu’il a été surpris.
Je ne sais pourquoi il a exaucé mon souhait… Mon esprit s’est retrouvé dans le corps d’un cerf à la cité du port. Une cérémonie avait lieu. Llariarith était là faisant un discours. Je sentais le cerf tenter de lutter pour s’enfuir devant tant de personnes réunies mais je le retenais, restant près d’elle. J’essayais d’attirer son attention mais comment faire dans le corps d’un cerf? Plusieurs fois, j’ai forcé le cerf à incliner la tête. Je hurlais : « je suis là!!! ». Mais aucun son ne sortait…
La cérémonie s’est terminée. Je suivais Llariarith du regard. Je n’ai pas vu arriver Mulvaar sur moi ou plutôt sur le cerf. Il l’a tué sans sentiment, juste pour le plaisir de tuer… Mon esprit a rejoint dans une douleur atroce mon corps mourant.
Llariarith…