Alors que je discutais avec Kharya dans ce temple, elle a fait ressurgir un souvenir de mon passé. La vigueur de l’émotion était intacte, s’en était saisissant, j’avais le souffle coupé.

C’est à ce moment là qu’elle s’est approchée de moi et a posé sa main sur la mienne. Elle me proposais de ne pas en dire plus si c’était trop difficile. Elle ne voulait pas me mettre dans l’embarras.

Je regardais cette main et cette femelle à côté de moi, dans l’émotion d’un souvenir et en même temps dans l’incompréhension de ce geste inattendu. Etait-ce vraiment la matriarche que j’avais à côté de moi ?

Si l’émotion du souvenir n’avait pas été aussi fort, je me serais sûrement posé plus de question. Mais là les images revenaient en moi comme une évidence. Maintenant j’ai une certitude, je sais à quel moment Keros a pris sa place en moi.

C’était les jours qui ont suivi l’attaque du campement. Ma mère faisait partie des victimes, mon père avait disparu. Le campement pleurait ses morts et en même temps se préparait à quitter ce lieu dorénavant porteur de souvenirs douloureux. Et ils allaient partir sans moi. J’allais rester seul.

Je me suis souvenu alors du départ de la caravane. J’étais assis à la sortie du campement, je les ai tous vu défiler devant moi, je voyais dans leur yeux le soulagement de me laisser derrière. Les chariots les uns derrière les autres dans un silence mortuaire sortaient et s’enfonçaient dans le désert. J’ai regardé longtemps le point qui devait être le dernier chariot. J’ai cru longtemps d’ailleurs que je le voyais encore ce point. Il a fallu la nuit pour me rendre compte que je ne pouvais plus le voir, que c’était impossible.

Je me souviens que j’étais resté assis à la sortie une partie de la nuit. Le campement n’avait plus du tout de protection, j’étais à la merci de la moindre bêtes, créatures ou que sais-je. J’étais là telle une statue raidit dans son émotion, incapable du moindre mouvement.

Je vois les images défiler avec clarté maintenant. Qui m’a levé de cet endroit pour aller chercher de quoi boire et manger, me mettre à l’abri d’une tente ?

Je vois un bleu faire les gestes quotidien d’une journée, si je vois ce bleu c’est que ce n’est pas moi et pourtant …

Je me souviens de tout maintenant, c’est comme une évidence. J’avais déserté et Keros a pris la place vide que je laissais.

Sans lui j’aurais dépéri. Il s’était réveillé et plus jamais il ne se rendormirait. Il m’avait sauvé ou contraint à continuer. Devais-je l’en remercier ou le haïr ?

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