J’avais retrouvé Na Djaï’tal ce jour là. Eeri était occupée à ses affaires et quand Na Djaï’tal sortait de ses études, je voulais en profiter au maximum. Il avait l’air épuisé. Plutôt que de nous promener comme nous en avions l’habitude, il a proposé d’aller boire un verre à la taverne de Fairhaven. Voyant son état de fatigue, j’ai accepté et puis j’aimais bien le bar de Fairhaven. On y rencontrait souvent du monde et les trykers étaient généralement de compagnies joyeuses.

Mon grand bleu restait silencieux. J’ai entraperçu un fugitif sourire un peu amer. Un peu inquiète, j’ai caressé tendrement son bras : « Ça va? ». Il m’a souri avec chaleur : « Je t’ai déjà dit que sans ce bar je n’aurais jamais rencontré Anyumé ? ». J’ai secoué la tête négativement : « Non? Raconte moi! ». Il a commencé à raconter un sourire aux lèvres : « C’était peu avant le Grand Essaim! J’étais étudiant à l’époque, tout jeune. Les Kamis aidaient au départ des populations à cause des Kitins qui étaient apparues partout. Avec quelques amis de Jen-Laï, on a eu une idée qu’on pensait maline. ». Il s’est penché vers moi pour parler moins fort : « On s’est dit qu’on pourrait profiter des réserves de Ba’Naer une fois qu’il serait parti. ». J’ai pouffé. Il a secoué la tête amusé : « Complètement idiot, hein ? Enfin bon, on l’a fait quand même! Je dois avouer qu’on s’est fait plaisir ! Un de mes potes, Lao-Vaï, s’était carrément plongé dans un des tonneaux de bière! ». Je riais en imaginant la scène. Il a ri aussi : « On faisait des concours à qui buvait le plus vite le plus grand nombre d’alcools ! On était prêts à devenir des légionnaires, je crois ! On a bu comme des trykers toute la nuit. Je ne sais même plus comment ça c’est fini. Je me souviens juste qu’à un moment j’étais en train de mimer Ma-Duk dans un spectacle improvisé. Et je crois que Vao-Laï faisait Jena… Ou un truc du genre. ».

Il a repris avec un ton plus sérieux : « À un moment, j’ai fini par m’écrouler dans la réserve, imbibé d’alcool, de bière… Du moins, je le crois, car c’est là que je me suis réveillé le lendemain… ». J’ai demandé : « Tu devais avoir un sacré mal de crâne? ». Il a grimacé : « Entre autre, yui, mais ce n’était pas le pire… La ville avait été abandonnée entre-temps, et les Kitins l’avaient envahie. Et j’étais tout seul, les autres avaient disparu. Je ne sais d’ailleurs pas ce qu’ils sont devenus… ». J’avais toujours trouvé étrange qu’il n’est pas pris part à l’exode comme tous les autres homins. Je ne m’étais pas du tout imaginé que cela avait pu être involontaire. Maintenant, je trouvais çà évident… A combien d’homins cette situation était arrivée? Combien étaient restés involontairement alors que les kitines envahissaient tout? Combien de malades et de personnes intransportables avaient dû être abandonnées ? J’imaginais l’horreur de ces instants qu’ils avaient du vivre en se rendant compte qu’ils étaient seuls face aux kitines…

Il a continué son histoire avec un soupire : « J’ai voulu briser une perle pour Pyr, mais… Tout ce que j’avais sur moi, c’était une robe en feuilles de palmier ! Pas de quoi faire le malin face aux Kinchers et aux Kirostas qui dévastaient tout. ». J’ai grimacé : « Ha oui… çà devait être une sacrée cuite… ». Il a acquiescé : « Yui… Ne sachant pas quoi faire, je me suis rappelé que les Kitins n’aimaient pas trop l’eau. Alors j’ai mis un tonneau dans l’eau et j’y ai sauté. J’étais encore trop saoul pour avoir pensé à me faire une rame… Le courant m’a emporté. ». J’ai plaisanté : « Tu avais bu la bière qui était dedans avant au moins? ». Il a souri : « Je me suis endormi, il était encore plein d’effluves d’alcool. Je crois que ça m’a ôté l’envie de me saouler pour un bon moment, plutôt. ». J’ai eu un petit sourire triste : « Je veux bien croire. ».

Il a poursuivi son histoire : « J’ai dérivé comme ça pendant un bon moment, au moins une journée, voire deux… Je ne sais pas trop. Un jour, je me suis réveillé, le tonneau était coincé dans des roseaux. ». J’ai demandé : « Tu n’avais pas faim? ». Il haussait les arcades : « J’avais surtout envie de vomir régulièrement… Et puis, j’ai entendu une petite voix, qui parlait une langue bizarre… ». Son regard est parti au loin pendant un long moment. J’ai demandé en murmurant : « Anyume? ». Il a hoché le masque doucement en silence. Il parlait à mi-voix : « Elle était toute jeune, une petite homine de rien du tout… Mais elle était prête à m’embrocher avec une espèce de bâton pointu qu’elle brandissait. ». J’ai souri en imaginant très bien la scène de la petite Anyume prête à se défendre bec et ongles contre le grand zoraï qu’il devait être déjà.

Il a gardé le silence tandis que son sourire mourrait peu à peu sur son masque. Je lui ai pris tendrement la main sentant la détresse qu’il devait ressentir depuis le départ d’Anyume. Il s’est tourné vers moi pour me serrer contre lui avec tendresse et chaleur.

Il a dit soudain : « Mais assez parlé de moi. Comment vas tu? ». J’ai répondu que j’allais bien mais j’ai demandé avec un peu d’angoisse dans la voix: « Tu as eu des nouvelles d’Anyume? ». Il a secoué négativement la tête : « Depuis les Anciennes Terres, c’est difficile… ». J’ai acquiescé. Il m’a serré la main : « Elle est partie parce qu’elle le devait, rien de plus. ». J’avais du mal à m’en convaincre. Je me sentais en partie responsable de son départ : « Je me dis que si… j’avais été plus présente… auprès d’elle… elle ne serait peut-être pas partie… ». Il a secoué la tête : « Né, Shaakya, cela n’aurait rien changé. Tu sais, pendant toutes ces années, on avait rêvé de retrouver des homins, et finalement… Même moi, je ne me sens pas à l’aise dans les Nations, alors pour Anyumé, ça a été très dur. ». Je l’ai regardé avec angoisse : « Tu ne vas pas partir toi aussi hein? ». Il a secoué le masque : « Né! De toute façon, moi je n’ai nulle part où aller ailleurs, tu sais. Je Voyage autrement! ».

J’ai eu un petit sourire triste : « Tu crois qu’elle est partie avec Alric? parce que… ». J’ai ensuite expliqué ce qu’il s’était passé lors des élections des akenos de Thesos. Il a secoué la tête : « Non, je ne crois pas. Il faisait partie du problème, pas de la solution. Mais, c’est possible qu’il ait pensé à la chercher, mais je ne crois pas qu’elle aurait voulu de lui pour aller là-bas. J’ai confiance en elle. ». J’ai un peu contesté : « C’est un maraudeur pourtant non? ». Na Djaï’tal a eu un sourire triste : « C’est ce qu’il dit, et ce qu’il croit. Anyumé semblait penser qu’ils auraient eu quelques frayeurs à en rencontrer des vrais, des Anciennes Terres. ». J’ai souri en imaginant Alric terrifié par les « vrais » maraudeurs.

Nous nous sommes resservis un verre. Il a demandé : « Et toi, ces derniers temps, tu t’es occupée à quoi ? ». J’ai répondu en sirotant ma bière : « Je me suis entraînée… Eeri veut que j’améliore ma mêlée… pour ne plus avoir peur pour moi. ». Il a souri : « C’est bien une réflexion de légionnaires, ça! Pai elle a raison. ». Il m’a alors observée tentant de se rendre compte si j’étais plus musclée ou non. J’ai fait un peu l’idiote en riant en montrant les muscles de mes bras : « J’ai fait beaucoup de progrès! ». Il s’est laissé gagner par mon hilarité.

Mais je suis redevenue soudain plus sérieuse : « Et puis… je me dis… que si Anyume revient… elle verra que… je sais me défendre toute seule maintenant… ». Il a souri attendri : « Ce n’est pas demain la veille qu’un fyrette ne saura pas se défendre je crois. ». Je me suis remise à sourire : « A vrai dire, je préfère bronzer sur la plage ou lire ou écrire sous une racine que de m’entraîner… ou de forer… ou de faire de l’artisanat. Mais ces derniers jours j’ai essayé de faire tout çà. Et puis Eeri est tellement heureuse quand je l’accompagne dans une chasse avec ses légionnaires. ». Il a souri avec tendresse. Et puis, je me suis mise à rire : « Tu sais qu’ils s’imaginent qu’elle est enceinte tellement elle a changé?… tellement elle rayonne de bonheur… ». Il a pouffé puis m’a souri avec chaleur : « Je suis heureux pour vous. ». Je lui ai serré la main tendrement.

Puis, nous avons discuté du Voyage qui s’avérait de plus en plus difficile à organiser en raison des journées chargées et incompatibles entre lui et Eeri. Nous avions vidé nos verres. Je lui ai proposé : « Çà te dit d’aller dormir sur l’île de Kyshala ce soir? ». Il a paru surpris : « Tu ne vas pas avec Eeri ? ». J’ai haussé les épaules : « Elle est prise toute la nuit… et çà fait longtemps qu’on n’a pas dormi ensemble… A moins que tu ais prévu de passer ta nuit avec quelqu’un d’autre? ». Il a eu un rapide sourire amusé. J’ai froncé les sourcils, j’étais pourtant sérieuse avec ma dernière question. Je supposais que comme il passait beaucoup de temps avec les amazones, il ne devait pas seulement leur faire la discussion… surtout qu’il était un magnifique homin et un amant à la fois tendre, attentionné et passionné. Le genre d’homin que beaucoup d’homines rêveraient d’avoir dans leur couche. J’avais beaucoup de chance de l’avoir pour amant… J’ai demandé : « Quoi? J’ai dit une bêtise? ». Il m’a caressé la joue : « Né, né! J’ai surtout croisé des Kinchers et des Varinx dans les Primes, je n’ai pas très envie de partager mes nuits avec eux si je peux l’éviter. ». J’ai pouffé. Il a ajouté : « Et puis les Varinx, c’est trop poilu de la tête, ça me perturbe! ». J’ai acquiescé en plaisantant : « C’est gluant un varynx et un kincher c’est trop dur! ». Il a ri avec moi.

Je suis devenue soudain plus sérieuse : « Tu ne te sens pas trop seul, quand je ne suis pas là… maintenant que… Anyume n’est plus là… ». Ces derniers temps, je passais toutes mes nuits dans les bras d’Eeri et je craignais qu’il souffre de l’absence d’Anyume encore plus cruellement quand je n’étais pas là. Il a souri avec tendresse : « Ne t’inquiète pas pour moi. Je ne suis jamais seul… ». Il a alors tapoté son masque et porté sa main à son cœur. Je l’ai regardé interrogative : « Je suis là et Anyume aussi c’est çà ? ». Il a hoché le masque en souriant.

Je me suis mise à bailler : ma journée d’entraînement m’avait épuisée. Il s’est inquiété : « La journée commence à être longue ? Tu veux qu’on aille à l’île ? ». J’ai acquiescé : « Oui… je ne suis plus habituée à m’entraîner comme çà… ». Il a souri : « Eeri te mène la vie dure, une vrai chef de la légion ! Allons-y, avant que tu ne t’endorme au bar! ».

Nous avons commencé à nager jusqu’à l’île de Kyshala. Il était devant presque tout le temps, je profitais du coup d’être dans sa ligne d’eau pour le suivre sans me fatiguer. Arrivés à quelques dizaines de mètres de l’île, je lui ai attrapé le pied pour le chatouiller. Il a répliqué en m’envoyant une gerbe d’eau. J’en ai profité pour passer devant lui en lui criant : « La première arrivée à gagner!!! ». Il a tenté de me rejoindre et malgré son immense envergure, il n’a pas réussi à me rattraper. J’ai sauté de joie : j’avais gagné la course… Bon d’accord, j’avais un peu triché… Mais, je n’étais pas peu fière quand même.

Il s’est penché en souriant sous la racine où je m’étais réfugiée : « Gagné quoi? ». J’ai crié comme une gosse : « Un bisou!!! ». Il s’est penché sur moi et a déposé un baiser rapide sur ma joue. J’ai grogné : « C’était un tout petit bisou çà!!! ». Il faisait mine d’être sérieux mais je voyais de l’amusement dans ses yeux : « C’est pas ça, ah bon ? ». J’ai secoué la tête : « Nan! ». Il a réfléchi un instant puis il a déposé un baiser sur ma main : « Voilà! ». J’ai encore secoué la tête : « Non plus! ». Il a fait mine d’être surpris : « Ha bon? ». Il s’est gratté le masque puis s’est penché sur moi pour m’embrasser dans le cou. J’ai souri : « Presque! Tu chauffes. ». Il a fait semblant de réfléchir intensément : « Presque? Difficile ce bisou ! ». J’ai préféré le prévenir : « Et ce n’est pas le nez! ». Il a fait comme si il avait trouvé : « Ah, j’ai peut-être une idée ! ».

Il m’a attiré contre lui, se penchant au dessus de mon visage en me dévorant des yeux en chuchotant : « Hmmmm, je sais… ». Ses lèvres se sont posées sur les miennes dans un baiser tendre au début qui s’est fait de plus en plus passionné. Nos sens se sont enflammés. Je le sentais bien plus fébrile que d’habitude, tentant de restreindre ses ardeurs pour ne pas me brusquer. Mais, je faisais en sorte de l’encourager, dans ses bras, je n’avais pas peur. Le plaisir nous a emporté rapidement, nous laissant tremblants de bonheur. Après quelques minutes, il m’a chuchoté à l’oreille : « C’était ça, alors le bisou ? ». J’ai caressé tendrement son masque : « Quelque chose comme çà oui! ». J’ai passé un doigt sur ses lèvres et je suis venue les goûter très délicatement : « Quelque chose comme çà… ». Il a souri : « C’est bien, ces courses, au moins il y a de vrais enjeux… ». J’ai ri : « Et l’avantage… c’est qu’au final on est tous les deux gagnants! ». Il a acquiescé en souriant : « Je ne me plains pas, si je pouvais toujours perdre ainsi… ». J’ai ajouté : « Et moi gagner tout le temps… ». Il a caressé mon crâne en y déposant un baiser.

Je l’ai serré très fort contre moi en lui demandant d’une petite voix angoissée : « Tu ne vas pas partir toi hein? Tu ne vas pas essayer de la rejoindre? ». Il m’a fixée : « Né. Elle a le droit de partir, je n’ai pas à… ». Il a soupiré : « Je ne ferai jamais rien qui puisse te faire du mal, Shaakya, je te le promets.« . Je me suis blottie contre lui encore un peu tremblante. Il m’a serrée avec passion. Il a commencé à fredonner sa douce mélopée pendant que je m’endormais contre lui.

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