Jour 19 Fingel – Fingelien 384
Je m’en voulais de ne pas avoir dit au revoir à Kharya même si je sais que j’en aurais été incapable. Je lui ai donc écrit une lettre pour tenter d’expliquer mon départ.
« Ma Shaa’enyss,
Les derniers jours que j’ai vécu dans les îlots m’ont fait comprendre à quel point je n’y avais plus ma place. Je suis fatiguée de vivre ces continuelles tensions, d’être seule… Je sais que tu as tenté de me rassurer.
J’ai besoin de reprendre des forces, de m’éloigner de tout çà pour réfléchir. Je penses passer quelques temps chez Bahar. Je ne sais si je resterai près d’elle. Elle est comme toi : elle a besoin de liberté.
Je te ferai parvenir ce qui appartient au dépôt sombre.
Je ne sais quand je reviendrais… sans doute l’ouverture de la nouvelle Naralik m’attirera irrésistiblement.
Pardonne moi.
Ta Ss’Fenyil. »
Elle m’a envoyée une réponse qui a failli me faire douter de mon choix…
« Ma Ss’Fenyil,
Eryann est venu m’annoncer ton départ. Je n’ai pas vraiment été surprise. Je sais que j’ai été très peu disponible ces derniers temps pour toi. Je regrette qu’une fois encore tu t’en aille sans me l’annoncer de vive voix. Même si je comprends que ce n’est peut être pas facile. Eryann m’a dit de ne pas m’en vouloir. Il ne me connait pas mais j’ai eu l’impression d’entendre tes mots quand il disait cela. Tu sais à quel point cela n’apaisera pas ma peine.
J’espère que cette retraite t’aidera à faire le point. Je t’assure que tu as ta place parmi les sombres. Il est vrai que nous devons radicaliser notre position et je sais que cela engendrera des conflits que tu n’as surement pas envie de vivre. Mais ton travail d’accueil est des plus utiles, tu noues les liens entre les nouveaux arrivants et leurs autres soeurs et frères. Tu es la seule à agir ainsi. Tu es primordiale pour l’union du peuple. Si tu ne veux pas de responsabilité extérieure, soit, je préfère te savoir dans une place qui convienne à ta douceur.
J’aurais aimé être capable de te parler de Mulvaar mais c’est comme si une grande culpabilité bloquait les mots. Je sais que tu n’apprécies pas sa personnalité. Il est dévoué pourtant. Il a la même façon de penser que moi. Je sais que je peux me reposer sur lui pour n’importe quoi. Cela faisait longtemps qu’aucun mâle ne m’avait procuré cette sensation de sécurité. Il n’est plus sous l’influence de l’elixir, la Déesse l’a sauvé au temple après l’inauguration des Forges naines. J’ai compris le message qu’elle voulait me transmettre. Je dois rétablir son Culte sur les ilots.
Je suis rassurée de te savoir auprès de Bahar et des petits. J’espère que prendre soin d’eux te redonnera le sourire et l’envie de vivre. J’attendrais de tes nouvelles ma louve.
Ta Shaa’EnySs. »
Je lui ai répondu. Je voulais garder ce lien avec elle qui semblait m’en dire beaucoup plus dans ses lettres qu’elle ne l’avait jamais fait.
« Ma Shaa’EnySs,
Je suis désolée de ne pas être venue te voir pour te dire que je m’en allais mais je sais que tu aurais tenté de me retenir et que je n’aurais pas pu te résister. Eryann a raison : je n’en veux à personne et encore moins à toi. Tu as toujours été là pour moi et tu m’as apportée bien plus que tu ne crois.
Je suis heureuse que Mulvaar aille mieux. Je l’avais entendu avant de prendre le bateau. C’est une des raisons qui m’ont aidées à partir : je savais qu’il serait là pour toi. J’espère qu’il t’apportera tout ce que je n’ai jamais su t’offrir.
J’ai dit à Eryann que j’allais auprès de Bahar. Mais toi, tu sais à quel point, j’ai du mal à la voir tellement elle me rappelle les jours heureux avec Kely. Je n’y suis restée que quelques jours pour m’assurer que tout allait bien pour elle et les bébés. Elle est retournée vivre seule chez elle sans Jadiane. Elle est un peu comme toi : elle aime sa liberté. Je sais qu’elle aurait eu du mal à supporter que je reste près d’elle au quotidien. Et puis, j’ai du mal aussi à admettre l’idée que je puisse être la « mère » de mon propre père… Quand à ma mère, je crois qu’il est difficile pour elle de voir son mâle dans le corps d’un petit bébé.
Je suis en train de préparer mon paquetage. Je vais repartir. J’ai entendu parler d’une contrée très éloignée d’ici : Bordeciel. C’est une contrée montagneuse et glacée. J’ai entendu dire qu’on y voyait des créatures nommées « dragons » qui ressemble aux statues que l’on trouve un peu partout sur les îlots. J’espère que j’en verrais un bien vivant même si il parait que ce sont de dangereuses créatures. J’espère que ce voyage fera sortir ma mère de son mutisme.
Je t’aime toujours autant ma Shaa’enyss même si je sais que tu ne partages pas le même amour que je te porte.
Ta Ss’Fenyil.«