Cela faisait plusieurs jours que j’errais dans le désert. Je ne cherchais plus vraiment Anyume, je marchais sans but, jusqu’à l’épuisement…
Et puis soudain, j’ai ressenti sa présence et je l’ai contacté via le vent d’Atys. Elle allait bien et moi aussi ce qui lui a fait pousser un soupir de soulagement. Apparemment, elle aussi s’était inquiétée pour moi. Je lui ai demandé si elle pensait finalement qu’Alric mettrait ses menaces à exécution. Elle m’a répondu sans avoir l’air d’y croire : « Avec un peu de chance, ce n’était pas des menaces, juste une façon de dire « on va jouer encore plus » et personne ne sera blessé… ». Tout ce que je voulais moi, c’est qu’il ne lui fasse pas de mal à elle…
J’ai proposé de la rejoindre pour qu’elle se rende compte de visu que j’étais encore en vie. Elle était dans le camp de la tribu des Taxeurs au nord de Pyr avec Na Djaï’tal. Sur le chemin, j’ai continué à lui parler. J’ai demandé comment allait son frère de sève faisant un lapsus. Il était bien évidement son frère de coeur. Anyume a semblé soudain gênée sans que j’en comprenne la raison. J’ai continué affirmant que de ce que j’avais pu voir, il avait un coeur gros comme çà. Elle a ri : « Encore plus ! ».
Je suis arrivée dans le camp, les découvrant dans les bras l’un de l’autre. Et cette fois encore, ils semblaient gênés que je les surprenne ainsi. J’ai proposé de revenir plus tard pour ne pas les déranger. Ils ont refusés déclarant qu’ils étaient heureux de me voir. Pourtant, j’ai remarqué la gêne de Na Djaï’tal. Une fois de plus, je ne pouvais m’empêcher de penser qu’ils faisaient un très beau couple tous les deux…
Na Djaï’tal a sorti des baies rouges de son sac et nous les a proposé. Je les ai dévorées sou l’oeil étonné d’Anyume : « Tu aimes ça autant que moi, ou ton dernier repas remonte à loin ? ». Je l’ai regardée indécise : « mon dernier repas? mon dernier repas… je ne sais pas… ». A vrai dire, depuis que j’avais quitté les légions fyros, j’avais repris mes habitudes d’enfant des rues. Je mangeais ce qui se présentait quand la faim me tenaillait. Pendant, les derniers jours que j’avais passé dans le désert, je n’avais pas ressenti le besoin de manger oubliant complètement mon estomac qui me tenaillait comme si j’avais oublié mon corps…
J’ai préféré détourner la conversation fuyant le regard inquiet d’Anyume. Je leur ai parlé de la matisse qui avait été « adoptée » par les légionnaires. Ils sont restés stupéfaits, Na Djaï’tal manquant de s’étouffer. Cela leur paraissait tellement invraisemblable. Anyume a même affirmé : « A la place de la matisse, je me méfierais… Parait qu’ils ont des pratiques bizarres… sans vouloir t’offenser, hein ! ». Mais, elle ne m’offensait pas, je savais ce dont les légionnaires étaient capables. J’ai précisé que le plus étonnant c’est que la matisse buvait de l’infusion. Anyume a dit en riant : « Un crime pour la moitié des homins et encore plus pour les Légions ! ». J’ai ajouté que j’y avais même goûtée. Ils m’ont regardée inquiet : « Oi, faut se méfier des infusions… Et de tout ce qui se boit qu’on a pas vu préparer ! ». Na Djaï’tal a déclaré : « Je connais des breuvages apparemment limpides comme de l’eau, pai… Tu sais que les Matis connaissent très bien les plantes et leurs effets ? Ce n’est pas pour rien qu’ils sont des empoisonneurs craints. ». J’ai tenté de les rassurer et me rassurer moi même : « Je n’ai bu qu’une toute petite gorgée et elle a bu tout le reste… ». Na Djaï’tal ne m’a pas rassuré : « Pai ils sont aussi bons guérisseurs forcément… ».
Je commençais à douter de moi même et du moment agréable que j’avais vécu avec Isyldia. Cachait-elle sous un aspect d’ange, une empoisonneuse ? Avait-elle tenté de m’empoisonner? Anyume a sourit : « Pas sans une bonne raison, ce serait idiot ! ». Mais je repensais aux menaces à peine voilées d’Alric : « Si c’est une amie d’Alric, elle aurait eu une bonne raison! ». Puis, je me suis mise à rire stupidement comme pour évacuer la tension de cette discussion. Na Djaï’tal a tenté de me rassurer : « Les Matis ne sont pas tous des méchants homins, hein… ». Puis surpris d’entendre un nom qu’il ne connaissait pas : « C’est qui Alric ? ».
J’ai vu qu’Anyume était mal à l’aise. J’étais une imbécile, je balançais le nom de l’amant d’Anyume à celui qui pouvait être un de ses prétendants… Il fallait que je rattrape ma bévue : « C’est un homin que j’ai rembarré! ». Mais le zoraï n’était pas dupe, il voyait les regards que nous nous échangions. Anyume a fini par soupirer : « C’est l’homin dont je te parlais, Na Djaï’tal! Je crois que j’aurais préféré que tu ignores son nom… Mais ce qui compte le plus, c’est qu’il ignore le tien ! ». Le grand bleu voyait notre angoisse et il a eu ses paroles : « Vous savez que les ténèbres les plus épaisses peuvent être aisément vaincues par une simple flammèche ? ». Je le regardais les yeux exorbités me demandant si il fumait les mêmes herbes qu’Archlongine. Mais Anyume a répondu : « Dans la nuit, une étincelle peut surtout briser ce que les autres sens te racontent… ». En voyant ma tête d’ahurie, Na Djaï’tal a alors expliqué : « Ce que je veux dire, c’est que ce n’est qu’un homin! ». C’est vrai, ce n’était qu’un homin et sans doute pas aussi fort qu’il le croyait mais d’après Anyume, çà ne l’empêchera pas d’être « désagréable ».
Puis elle a sorti quelque chose de son sac : « Gâteau aux fruits confits ! ça vous dit ? ». Nous avons crié notre joie dissipant la lourdeur de la conversation précédente. Na Djaï’tal a sorti une gourde d’eau : « J’ai de l’eau infusée si vous voulez ». J’ai fait une grimace devant la gourde d’eau puis j’ai dévoré du regard la part de gâteau que Anyume me tendait. Je me suis goinfrée comme avec les baies rouges, j’ai même été ramasser les miettes que j’avais laissées tomber dans la sciure, reprenant mes réflexes de survie d’enfant des rues. Anyume a éclaté de rire et m’a tendue une nouvelle part de gâteau. J’ai lâché la bouteille que j’étais en train de sortir de mon sac pour attraper la nouvelle part. Et j’ai commencé à croquer dedans avec autant d’appétit que les premières.
Anyume a sourit : « Elle est bonne ton infusion ! Tu devrais goûter Shaakya. Même sans alcool, il y a des bonnes choses. ». Na Djaï’tal a surenchéri en plaisantant m’ayant vu sans doute piocher les miettes dans la sciure : « C’est la boisson du foreur, pour s’ôter le gout de la sciure de la bouche! ». J’ai tenté de répondre la bouche pleine : « dmmme l’mmhsrbbo chrrrommmdgge ? ». Anyume a failli s’étouffer en riant alors qu’elle était en train de boire. Je me rendais compte que j’avais perdu toute politesse la mère de Kyshala m’aurait grondée si elle m’avait entendue. J’ai avalé et j’ai répété : « de l’eau chaude? ». Il s’agissait d’eau de source auquel Na Djaï’tal avait ajouté un cocktail d’herbes de sa composition. Je l’ai regardé d’un air taquin : « Toi aussi tu veux m’empoisonner? ». Mais j’ai finalement pris la gourde pour la porter à mes lèvres. Le grand bleu a entendu que j’ai un peu de son infusion dans la bouche pour indiquer : « Par contre, ça favorise la pousse des cheveux, au fait! ». J’ai craché toute l’eau devant moi surprise. Ils ont éclaté de rire : « La sciure… va être aussi… poilue q’un… Fyros maintenant ! ». Je me sentais un peu confuse mais j’ai finalement ri avec eux de bon coeur. Anyume continuait à plaisanter demandant si elle allait être une homine à barbe. Et Na Djaï’tal a continué en déclarant qu’il se laisserait pousser la barbe et qu’ainsi ils pourraient se faire des nattes entre eux. Nous nous tenions les côtes tellement nous riions. Je regardais les deux homins devant moi en me disant que quoiqu’en dise Anyume, il y avait quelque chose entre eux et pas seulement de la fraternité… Nous avons continué à rire ainsi plaisantant de tout et de rien.
J’avais toujours la gourde dans la main et je tentais de regarder par le trou pour tenter de voir ce qu’il y avait dedans. J’ai repris une petite gorgée et à nouveau Na Djaï’tal a parlé : « Ça fait pas pousser les cheveux, pai ça donne l’accent matis quand on parle! ». Une nouvelle fois, j’ai recraché devant moi en m’étranglant de rire pour la plus grande joie de mes compagnons. J’ai remis une troisième fois la gourde à mes lèvres en surveillant le grand bleu du coin de l’oeil. J’avais la bouche plein, les joues gonflées quand il a fait mine de parler. Je me suis retenue d’avaler, le regardant avec suspicion. « Et… je n’aurais peut-être pas dû y mettre… ». Je l’ai regardé angoissée. « de l’eau pure, ça risque de la rendre malade, j’aurais du la couper avec de l’alcool ! ». J’ai mis ma main devant ma bouche me retenant de cracher mais en même temps prise par un fou rire pendant que j’avalais. Na Djaï’tal a alors demandé à Anyume : « Tu crois que les Trykers ont rempli les lacs avec la technique de Shaakya ? ». Je riais et je toussais.
Il a fini par dire : « Je le savais, c’est trop fort pour toi ! ». Je l’ai regardé avec un petit air de défi buvant une gorgée de liqueur d’ocyx de ma propre bouteille : « A toi! ». Il a pris la bouteille me demandant ce que c’était. Avec un ton taquin, je lui ai dit : « Bois je te dirais après! ». Il se méfiait et a senti : « Toub ! Ça sent fort ! Tu es sûre que c’est fait pour boire ? Ce n’est pas pour nettoyer les armes plutôt « . J’ai précisé comme une évidence : « C’est Eeri qui m’a offert la bouteille, çà doit se boire! ». Il a bu une toute petite gorgée, toussotant un peu : « Pfiouuuu ! ». Alors qu’il remettait la bouteille à ses lèvres, j’ai fait mine de regarder dans mon sac en fronçant les sourcils : « à moins que… ce ne soit le produit pour nettoyer mon armure? ». Il s’est remis à tousser en rigolant : « U…. U… Ukio… Je l’ai… mérité… ». Je lui ai finalement avoué qu’il s’agissait d’une vieille cuvée de liqueur d’ocyx. Na Djaï’tal a commencé à boire plusieurs gorgées d’affilé, sous mon air effaré : « heu… tu ne devrais pas en boire trop… C’est fort pour quelqu’un qui n’est pas habitué ». Il commençait à avoir la voix qui déraillait et je regardais Anyume en me demandant si elle n’allait pas m’en vouloir de saouler son frère de coeur.
Il a fini par rendre la bouteille en me demandant si j’avais déjà essayé d’y faire dissoudre quelque chose à part un zoraï. J’ai répondu sur le ton de la plaisanterie qu’on avait essayé avec les matis mais en commençant par les pieds pour éviter qu’il essaie de boire si on commençait par la tête. Nous avons eu une nouvelle crise de fou rire. Puis, il a repris plus sérieusement qu’il essaierait bien d’y dissoudre les larves qu’il avait ramassé dans la kitinière la dernière fois. Il voulait que je lui trouve d’autres bouteilles pour faire des expériences. J’ai accepté même si je trouvais que c’était gâcher la liqueur…
Ils ont alors parlé de cuisine me faisant saliver à l’évocation de plats d’Anyume : « Sinon, on peut aussi braiser la viande d’ocyx, faire revenir très rapidement des pousses de slaveni avec, et se faire un bon repas, plutot que de faire des trucs bizarres ! ». Celle-ci s’est soudain tournée vers moi : « Shaakya… Maintenant que tu n’es plus à la Légion, tu arrive quand même à avoir tout ce qu’il faut ? ». Je l’ai regardée surprise. Puis, elle a précisé : « Ou si je t’invite à manger tout les jours, c’est une bonne idée ? ». J’avais soudain honte de mon comportement. Je comprenais qu’elle devait se douter que je ne mangeais pas tous les jours… Je ne voulais pas paraître pour une mendiante : « J’ai l’habitude tu sais… ». Comme si çà allait la rassurer… Elle a répliqué : « Oi, j’ai l’habitude de survivre au milieu des kitins, mais changer ce genre d’habitude et profiter d’un peu de confort, c’est pas si mauvais.. Je la regardais un peu perturbée et sans savoir quoi répondre. Elle a continué : « Tu sais où est notre camp… J’y suis presque tout les soirs. Et sinon, je suis souvent dans cette tribu. N’hésite pas si tu a envie d’un peu de compagnie pour partager tes repas ! ». Et Na Djaï’tal a ajouté : « J’essaierai d’être un peu plus chez nous, Anyume, aussi! ». Anyume a terminé en déclarant : « Dëi, ce serait agréable ! ce serait un peu comme retrouver un… Un clan ».. J’ai dit que je viendrais mais que je ne voulais surtout pas les déranger…
Nous étions tous émus mais Anyume encore plus que nous. Na Djaï’tal lui posait une main rassurante sur l’épaule. Elle a fini par se laisser aller contre lui. J’avais connu çà moi aussi avant : un clan, une belle fraternité et le partage… mais… je ne voulais pas me souvenir pas ce soir. J’avais les mains qui tremblaient d’émotion contenue, j’ai planté mes ongles dans mes paumes pour concentrer mes pensées sur la douleur que çà me procurait. Na Djaï’tal ressentant l’émotion que nous dégagions a commencé à plaisanter : « Il faudrait se trouver un nom de clan alors… quelque chose qu’on fait tous…. Les Mange-Gâteaux ? ». Ça nous a fait rire et j’ai proposé : « Les cracheurs d’infusion? ». Na Djaï’tal s’est esclaffé : « Ah né, ça c’est ton nom de clan : Shaakya Cracheuse-d’Eau ! ». J’aimais bien le nom.
Anyume m’a tendue la main m’invitant à m’installer à côté d’eux. Elle m’a pris la main et celle de Na Djaï’tal. J’ai serré doucement la sienne, je me sentais bien et rassurée. Nous regardions tous les trois le feu devant nous profitant de cet instant de grâce pendant que Na Djaï’tal fredonnait une douce mélopée zoraï.
« Notre camp est le tien, Shaakya. Viens dès que tu a envie de goûter à ma cuisine ou papoter ! ». Na Djaï’tal s’est arrêté de fredonner pour ajouter : « Quoiqu’il arrive, on s’entraidera ». J’ai souri en approuvant. Anyume était songeuse : « Quelque part… on ne devrait se battre que pour des moments comme ça. Pour être tranquille et heureux avec des amis, qui sont presque une famille. ». Na Djaï’tal a approuvé : « Quelque part, on ne devrait vivre que des moments comme ça sans avoir à se battre pour ça… Être là, simplement, tout le temps… ». J’avais presque les larmes aux yeux.
Des souvenirs ont tenté de refaire surface, je me suis légèrement crispée, ce qui a étonné Anyume. J’ai tenté de lui expliquer que j’avais parfois de mauvais souvenirs qui remontaient. Elle a parlé très doucement : « Pour oublier la douleur, il n’y a qu’une seul façon efficace… Il faut beaucoup, beaucoup de douceur. » Elle m’a alors raconté comment la douceur de Na Djaï’tal l’avait aidée : « Quand on s’est rencontré, j’étais une fyrette sauvage ! Je ne savais pas ce que le mot confiance pouvait dire. Je savais tuer, mais je ne savais pas vraiment aimer… Montrer de l’affection, pour moi, c’était faire preuve de faiblesse. Je pensais tout savoir… Et puis les bleus ont changé ça, peu à peu… ». Elle et Na Djaï’tal se sont regardés tendrement : « Et puis c’est mon porte-bonheur, mon grand bleu ! Quand il est là, tout se passe toujours bien. Les kitins ne nous voyaient pas, le vent était toujours dans le bon sens. ». J’ai acquiescé : Na Djaï’tal dégageait une aura de sérénité autour de lui.
Nous avons commencé à bailler épuisés. Les taxeurs nous avaient laissé une de leur tente orange en forme de cocon. Je ne voulais pas m’immiscer dans le couple, j’ai cherché un coin au sol à l’intérieur du camp mais Anyume a déclaré : « Vous pouvez venir, y’a de la place pour cinq dans ces cabanes ! ». Na Djaï’tal a fait une dernière plaisanterie : « Ah toub ! On n’est que trois, on n’est pas assez ! ». J’ai ri en proposant d’accueillir un mektoub avec nous. Mais comme les nôtres étaient tous loin, nous avons fini par nous installer tous les trois dans la tente. Après une hésitation, Na Djaï’tal et Anyume se sont pris dans les bras l’un de l’autre. Sans doute, avaient ils l’habitude de s’endormir ainsi. Je me suis mise un peu à l’écart pour ne pas les déranger.
Cette nuit là a été la plus douce que j’ai vécu depuis longtemps même si j’ai pleuré d’émotion et de bonheur en silence pour ne pas les réveiller. J’avais l’impression de revivre… enfin…