Jour 19 Thyllion – Fingelien 380
De retour dans la maison de mon enfance, j’ai présenté Kely à ma mère. Elle semblait heureuse de le connaître et lui était très prévenant, lui approchant même une chaise quand elle s’est sentie mal. Je crois qu’elle a approuvé mon choix et m’appelait « ma petite louve ». Ce qui a fait sourire Kely : il trouvait que çà m’allait bien!
Ma mère lui a expliqué la raison de mon surnom : j’étais douce et féroce à la fois! Il a tiqué en disant que la férocité ne venait pas forcément de moi.
Ma mère semblait surprise et ne pas comprendre. Je n’avais pas eu l’occasion de lui expliquer le pourquoi de ma venue et la présence de La Sombre en moi. J’ai donc laissé « sortir » La Sombre. Je crois que ce changement brutale a fait un peu peur à ma mère. Mais très rapidement, j’avais l’impression qu’elle avait pressentie mon anormalité. Elle racontait que parfois quand j’étais enfant elle surprenait chez moi le regard dur d’un adulte.
Mais La sombre était impatiente, elle voulait savoir. Elle a demandé à ma mère de raconter les circonstances de mon arrivée.
Cette dernière s’est exécutée de bonne grâce:
- « Elle était juste devant notre maison… on aurait dit… un bébé qui vient de naitre… vous savez comme si elle avait encore cette espèce de pellicule blanche sur elle. Mais il n’y avait personne… même si j’avais la sensation d’être observée… »
La sombre toujours aussi impatiente :
- « Est ce qu’il y avait quelque chose avec la petite? un objet, des linges? »
Ma mère a été surprise par le ton et la brutalité de la question mais Kely l’a rassuré en lui disant qu’il ne s’agissait pas de moi.
Kely a alors demandé plus doucement :
- « vous vous souvenez s’il y avait autre chose dans le couffin ? »
N’arrivant pas à se relever, ma mère a demandé à Kely de lui ramener un petit linge plié dans le tiroir d’une petite commode. Elle a déplié lentement le linge. Il y avait un mot dedans. Ma mère n’avait pu lire que le message en langage commun. Il s’agissait de mon prénom: Khaena. Le reste était écrit en elfique sombre.
La Sombre a pris le mot précipitamment et a commencé à lire. Elle a relu le mot plusieurs fois et semblait pour une fois prise au dépourvue comme abasourdie. Les souvenirs revenaient en elle par paquet.
Elle était poursuivie, on cherchait à la tuer mais son corps alourdi par la grossesse rendait sa fuite difficile. Elle a accouchée seule dans un buisson. Elle a pris l’enfant, c’était une fille: c’était moi. Elle savait qu’elle allait mourir que ses poursuivants ne lui laisseraient aucune chance et la perte de sang qu’elle avait subie suite à l’enfantement la rendait encore plus vulnérable. Mais elle voulait me sauver quel-qu’en soit le prix. Elle a alors fait le rituel que font parfois les femelles sombres quand elles savent qu’elle vont bientôt mourir en couche. Ce rituel lie les âmes de l’enfant et la mère. Une fois la mort de la mère son esprit reste présent dans celui de l’enfant. Mais il reste discret comme une sorte de voix conseil qui aide l’enfant dans ses choix et le guide. La Sombre est ensuite repartie avec son bébé et l’a déposé à la porte d’une maison isolée, celle de mes parents adoptifs. Elle est restée un peu pour observer si j’allais être acceptée par des humains, prête à intervenir si la réaction avait été le dégout ou la peur. Mais mère adoptive m’a prise tendrement dans ses bras et est entrée avec moi dans la maison. La Sombre est ensuite repartie, désespérée d’avoir dû m’abandonner mais tentant d’éloigner le plus loin possible ses poursuivants de la maison. Elle a été rattrapée et submergée par le nombre… Elle a été torturée longuement, terriblement : ils voulaient savoir ce qu’elle avait fait de son enfant. Mais elle ne leur a jamais avoué. Elle est morte dans une terrible douleur. Son esprit a rejoint le mien… mais un esprit douloureux, martyrisé et sans souvenir.
La Sombre pense que c’est sans doute à cause de la douleur qu’elle avait subit et de l’éloignement, que le rituel ne s’était pas complétement accompli. Elle m’a demandé pardon.
C’est à ce moment que j’ai vu la pâleur de ma mère adoptive. Elle était en train de mourir. Je l’ai allongé sur son lit. Elle ne pesait presque rien comme si son corps était déjà parti. Elle m’a sourit me disant que j’avais maintenant retrouvé ma vraie mère et que c’était bien ainsi puisqu’elle s’en allait. Elle a demandé à Kely de prendre soin de moi. Elle a dit qu’elle était fière de moi, de ce que j’avais accompli et qu’elle regrettait de ne pouvoir voir mes enfants. Je lui ai promis que si un jour Kely et moi nous avions une fille, elle porterait son prénom. Elle m’a dit aussi de prendre soin de Kely. Puis elle a fermé les yeux. Kely a entonné un chant doux et apaisant pour accompagner celle qui avait pris soin de moi pendant toutes ses années vers son dernier sommeil. Elle a cessé de respirer et je me suis effondrée entre les bras de mon mâle.