Jour 28 Nuona – Fingelien 383
La rage de ma mère dure toujours… Je ne sais plus quoi faire je suis épuisée. Je ne sais pas comment elle peut encore tenir debout… la rage sans doute…
Le coursier a amené une lettre de Kharya adressée à ma mère… Heureusement, j’étais éveillée à ce moment là pour la réceptionner. J’ai préféré la cacher pour le moment. J’ai peur qu’elle ne sombre un peu plus si elle la lisait maintenant.
La voici :
« Killya,
Quelque chose en moi s’est brisé quand j’ai entendu la dernière menace proférée par Khaena lors de sa vengeance. Celles qu’elle avait faites précédemment n’avaient eu aucun effet, pas même celle portant sur Oscarhamel et mon fils.
Sur le moment j’étais furieuse de ma faiblesse, mon orgueil s’est réveillé et je l’ai laissé me submerger. J’ai pensé que c’était passager, que c’était une blessure et qu’elle se refermerait après quelques jours d’isolement. Je me suis calmée. Mais après un mois, je me rends compte que rien ne revient comme c’était avant. Je me sens vide mais je n’en soufre pas. Je n’ai plus envie d’avoir ni femelle ni mâle même juste pour le plaisir du corps. Je n’ai plus envie de rire ou de sourire.
Tu as probablement raison dans ton analyse de mon incapacité sentimentale. Je n’arrive pas à m’ouvrir totalement à quelqu’un. Plus le temps passe, moins j’arrive à accorder une confiance totale en qui que ce soit.
Les seuls à qui j’ai pu m’ouvrir étaient des mâles dont l’aplomb et la sagesse faisaient d’eux des rocs inébranlables auxquels je pouvais me raccrocher en cas de doute. Ceux là, je les regrette.
Tous ceux qui étaient eux mêmes la proie de doutes et que j’ai voulu faire avancer semblaient préférer rester faibles devant moi pour être cajolés. Ceux là, je m’en veux d’avoir échoué et précipité leur perte.
Puisque seule, je ne fais pas de ravages, autant le rester. Je suis épuisée. Mon cœur est sec et ne peut plus rien offrir. Je veux finir ce à quoi je me suis engagée pour le peuple et ensuite disparaître.
Kharya. »
Je n’aurais pas du lire cette lettre sans doute mais je voulais protéger ma mère de toutes mauvaises nouvelles. Et celle-là en était une. Je me rendais compte à quel point j’avais blessé Kharya sans vraiment le vouloir, au point qu’elle veuille « disparaître ».
J’ai prétexté devoir lui remettre les derniers éléments du devis de Naralik pour la rencontrer. Je suis restée debout tout le temps de notre conversation. Je préférais qu’elle ne voit pas avec quelles difficultés, je m’asseyais avec mon corps meurtri. Heureusement quand je lui ai tendu le sac, elle n’a pas vu mes mains tremblantes et bleuies par les coups reçus et surtout donnés par ma mère.
Je lui ai expliqué que j’avais lu sa lettre et que je ne préférais pas que ma mère la lise sur le moment, sans donner plus d’explications. Elle n’a pas manifesté de désapprobation, affirmant même que j’étais la plus susceptible de savoir ce qui était le mieux pour ma mère.
Je me suis ensuite excusée pour l’avoir blessée plus que je ne l’avais voulu. Elle restait calme déclarant qu’elle n’avait pas été blessée mais qu’elle avait changé… Moi aussi, elle m’avait changée : j’avais l’impression d’avoir grandi.
Elle a ajouté qu’il ne fallait pas que je m’en veuille pour ce qu’il s’était passé. Que ma mère et elle avaient une vision trop éloignée de la vie pour qu’elles restent ensembles. Elle affirmait qu’elles auraient de toutes façons fini par se séparer. Et puis, ma mère avait déjà trouvé quelqu’un pour la remplacer…
Je suis restée un instant silencieuse ne sachant si je devais lui dire dans quel état se trouvait ma mère après sa rupture avec Bahar… Je lui ai finalement appris que ma mère s’était déjà disputée avec sa nouvelle femelle, sans en dire plus. Kharya n’a pas exprimé grande chose à cette nouvelle à part une légère surprise.
J’ai préféré écourter la conversation. Je ne tenais plus qu’à peine debout. Je ne voulais pas qu’elle prenne pitié de moi alors qu’elle était elle même si mal. Je l’ai quitté en déclarant que j’arrêtais de l’ennuyer. Elle m’a souhaitée un deshmal en ajoutant que je ne l’ennuyais pas.
Je n’ai pas bougé sur le moment, ne sachant si il s’agissait d’une invitation à rester près d’elle ou non. Après un instant d’hésitation, je suis partie pour ne pas qu’elle soupçonne mon état et qu’elle s’inquiète inutilement comme elle l’aurait fait pour tout membre blessé de son peuple.
Je suis repartie sur l’île des oubliés, où le froid glacial a tendance à anesthésier la douleur.